Le constat est sans appel et cela ne date pas d’hier, le métier de sage-femme ne se porte pas bien. Un emploi pas suffisamment protégé, trop peu de valorisation entre la charge de travail et le salaire alloué ou encore une faible considération de la santé mentale des sages-femmes. Quelques arguments qui démontrent toute la fragilité ressentie par ces bienveillant.e.s de la naissance. À l’initiative de l’UPSFB (Union Professionnelle des Sages-Femmes Belges) et de l’AFSFB (Association Francophone des Sages-Femmes Catholiques), une carte blanche a été partagée le 23 octobre dernier pour dénoncer une situation qui serait jugée “inacceptable” par les professionnels.elles du secteur.
{Une carte blanche rédigée par Sylvianne Wauters, pour les associations professionnelles représentées par les deux présidentes : Murielle Conradt, présidente de l’Upsfb et Anne Niset, présidente de l’AFSFC}
“Mr. Vandenbroucke, une fois de plus nous sommes consternées par votre manque d’intérêt pour la profession sage-femme.
Alors que votre discours parle des 1000 premiers jours, comme une opportunité de santé physique et mentale pour les nouvelles générations, votre politique budgétaire assassine cette même première ligne dans laquelle se trouvent les sages-femmes. 42,7 milliards d’euros et pas un centime pour les sages-femmes, pourtant du financement n’est pas seulement nécessaire, mais bien vital pour le secteur.
La sage-femme est une professionnelle de première ligne, détentrice d’un baccalauréat, qui possède toutes les compétences nécessaires pour maintenir la santé des femmes et de leurs enfants durant toute la période de périnatalité. Formée de manière continue, elle accompagne la physiologie et dépiste la pathologie. Elle travaille en collaboration avec les professionnels de la périnatalité (gynécologues, pédiatres, médecins généralistes, ONE…) afin d’assurer un suivi des familles en suivant les dernières recommandations et données de la science. Alors que l’approche globale impliquant davantage la prévention est encouragée, la sage-femme est une profession qui a démontré son efficacité (Lancet).
Mais à quel prix ?
Dans le rapport de la commission de planification réalisé sur base de l’exercice 2017, on constate qu’un emploi d’indépendante à temps plein pour la nomenclature des sages-femmes est assimilé à un montant brut de 25.635€ dans le cadre de la nomenclature spécifique aux sages-femmes contre un montant brut de 76.879€ pour un emploi d’indépendante à temps plein dans la nomenclature en art infirmier. Ce chiffre a même fait douter la commission tellement il était dérisoire au regard de l’exercice, or aujourd’hui rien n’a changé, c’est même pire !
Nous avons successivement :
- Perdu le financement de l’accompagnement des femmes en salle de naissance
- Été contraintes de participer au financement du trajet de soin à bas en risque en obstétrique dans lequel nous ne sommes même pas incluses
- Perdu le remboursement du 7e code de post-partum à domicile au-delà des 6 premiers jours, pour un accès à la prime télématique qu’un nombre ridicule de sages-femmes a réellement pu obtenir
- Et très récemment un effort supplémentaire sur notre budget nous a été exigé pour réaliser de nouvelles économies dans le cadre de “l’appropriate care” , bien que nous soyons déjà à 100% de l’appropriate , nous y avons encore laissé cette fois, un remboursement de préparation à la naissance!
Avec la mise en place des retours précoces, les sages-femmes ont dû se réorganiser, quitter le milieu hospitalier qui leur assurait une sécurité financière pour une situation de libérale plus précaire. Si la prise en charge a glissé lentement mais sûrement de l’hôpital vers la première ligne, il semble que le financement soit lui resté hospitalisé et n’ait pas encore eu la permission de sortir !
À cela est venue s’ajouter une affiliation à la TVA sur toute prestation hors nomenclature réalisée par la sage-femme, une façon de crever une éventuelle bouée de sauvetage.
Nous sommes les seules professionnelles de la santé qui ne disposent que d’une facturation pour la prise en charge de deux personnes physiques ! Quel autre professionnel de la santé accepterait de prendre en charge deux (ou trois, ou quatre) êtres humains pour 39,15 euros brut avec une contrainte horaire d’une heure de prestation ? Les frais de déplacement à eux seuls sont déjà supérieurs à ce montant dans un grand nombre de professions !
Votre première ligne se porte mal, monsieur le ministre ! 30% des sages-femmes souffrent de burn-out. Sur 200 sages-femmes interrogées, 20% hésiteraient à refaire ces études par manque de reconnaissance, y compris financière.
Or, nous sommes une des professions les plus conventionnées ! Et seuls 5,9% sur 200 sages-femmes interrogées y trouvent un intérêt, leur seule motivation est de rendre les soins accessibles et éviter à tout prix une médecine à deux vitesses, moins humaine.
Plutôt que de nous féliciter, vous avez préféré prendre la décision de supprimer la prime de conventionnement pour les sages-femmes en 2024 (prime que nous venons tout juste de percevoir pour une année). Le score de conventionnement étant trop bon, il n’est plus nécessaire de nous encourager !
Une volonté de mettre la sage-femme au tapis ?
De nombreuses sages-femmes sont formées chaque année, entraînant une augmentation de l’offre par rapport aux besoins de la population selon l’avis de mars 2020 de la commission de planification. Elle proposait alors de réguler l’accès à la profession sage-femme et préconisait de faire évoluer la profession vers plus d’autonomie avec une formation adaptée et le passage vers un master, ce qui permettrait de mettre en place un nouveau modèle de soin, faisant coïncider l’offre sage-femme et les besoins de la population. Il semble que la stratégie retenue par votre cabinet soit plus primaire. Si l’on coupe les vivres aux sages-femmes, on peut raisonnablement espérer que l’offre diminue d’elle-même et règle naturellement la balance offre / demande.
Mais c’était sans compter l’essentiel ! Nous ne parlons pas ici de la rentabilité d’une usine à poupons, nous parlons de la naissance de petits êtres humains qui feront la société de demain, et qui arrivent dans un monde suffisamment chaotique que pour espérer y être humainement accueillis. Si sur le papier l’offre est supérieure à la demande, nous nous étonnons alors de voir le nombre impressionnant d’accompagnants et coach en tout genre qui accaparent le monde de la naissance, sans aucun cadre légal, pour des montants indécents et répondent ainsi à une demande bien réelle qui émane directement de la population.
Les sages-femmes, soumises à leur cadre légal, ont du mal à concurrencer ces nouvelles activités, avec des offres multiples et audacieuses, semant le trouble dans l’esprit des parents en devenir, qui pensent être accompagnés de manière sécuritaire. Bien sûr les tarifs sont libres et seuls les plus nantis peuvent y avoir recours, mais ce n’est pas gênant puisque nous ne touchons pas au budget de soins de santé du gouvernement.
En ce qui concerne les sages-femmes, le discours est tout autre, l’heure est aux économies, il faut se serrer la ceinture, encore et encore, jusqu’à ce qu’au final, il n’y ait plus de place pour l’essentiel.
Vous parlez de santé mentale ?
En effet, il semble que ce soit le fléau de notre société ! Ne serait-il pas temps de se poser les bonnes questions ?
La grossesse est de par sa nature une vulnérabilité, quelle que soit la situation médico-psycho-socio-économique, c’est également une opportunité de santé! Le passage vers la parentalité est sans doute un des plus grands défis que l’être humain ait à relever durant son existence, il ouvre une fenêtre d’opportunité pour sortir des habitudes et remettre une famille en santé.
Les sages-femmes, de par leur cadre de travail, saisissent cette opportunité en réalisant de l’éducation à la santé, du soutien à la parentalité et en mobilisant un réseau de soutien adéquat autour de la famille en plus de leur suivi médical. Nous sommes les premiers acteurs à réaliser de la prévention en matière de santé mentale !
Vous vous félicitez d’investir dans un trajet de soins pour les familles vulnérables ?
Il est louable d’investir dans les classes de la population les plus vulnérables, mais coordonner des services sous-financés, épuisés ou saturés a-t-il vraiment encore du sens ? À quand des moyens pour ces services ?
Il serait également extrêmement dommageable d’en oublier la population générale ! Les moyens que nous mettrons en œuvre pour aider les familles dans les premières années de la vie d’un enfant sont un investissement à long terme pour une société de demain en meilleure santé. Avec la promesse de belles économies dans les soins de santé également !
Alors nous nous interrogeons, jusqu’où faudra-t-il aller pour vous apercevoir que vous faites fausse route ? Allez-vous encore longtemps faire la sourde oreille aux demandes incessantes et urgentes des professionnels en détresse ? L’humanité pourra-t-elle encore primer sur la rentabilité ?
Nous vous invitons à reconsidérer vos choix, à avoir le courage d’investir dans une profession qui sans doute est peu mise en avant, mais qui, discrètement, façonne la société de demain.
À l’image des abeilles ouvrières, les sages-femmes continuent, comme elles peuvent, pour le bien commun, en souffrant depuis des décennies…
Aujourd’hui nous sommes en colère ! Aujourd’hui nous revendiquons des rémunérations décentes !
Aujourd’hui nous sommes au pied du mur, forcées de choisir entre notre survie et une médecine humaine.
Aujourd’hui la ruche suffoque, et la disparition des abeilles n’est jamais un bon présage !
Pour toutes les sages-femmes qui vont au-delà de leurs limites,
Pour toutes les femmes qui souffrent de ne pas être soutenues, entendues
Pour tous ces nouveau-nés qui arrivent dans un monde bien rude.”
Pour signer la pétition → Carte blanche (google.com)