Les sages-femmes sont toujours à bout de souffle ; elles en ont “ras le col” !

7 novembre 2024
Ce jeudi 7 novembre 2024, les sages-femmes (et plus généralement les travailleurs.euses du secteur du non marchand) sortent dans la rue pour crier leur mécontentement. Car, depuis plusieurs années déjà, elles ont “ras le col”, pour reprendre les mots du slogan brandi au sein des manifestant.e.s. La couleur à l’honneur est le rose fushia, à porter en soutien au mouvement. Il s’agit aussi de scander plusieurs revendications, adressées directement aux nouveaux décideurs politiques : “Deux patient.e.s prise.e.s en soins pour le prix d’un.e ! Les sages-femmes ne sont pas en solde !” ; “Mieux communiquer entre prestataires de périnatalité ? Un dossier périnatal partagé et uniformisé !” ; “Travail de week-end = tarif de week-end, aussi après le 5e jour !” ; “Ouvrir un dossier, c’est du temps d’écoute, d’analyse, d’encodage ; ça mérite d’être rémunéré !” ; “237 euros bruts pour 5 semaines de garde et tout un suivi de travail primipare ? Vous le feriez ?”.

 

 

Le 23 octobre dernier, l’Association Francophone des Sages-femmes (AFSF) et l’Union professionnelle des Sages-femmes belges (UpSfb) avaient déjà lancé les hostilités, s’indignant au sein d’une carte blanche intitulée “Les sages-femmes sont toujours à bout de souffle” (en référence à la carte blanche de l’an dernier). Là voici dans son intégralité.

 

“Il y a un an tout juste, les sages-femmes étaient en colère et interpellaient Mr Vandenbroucke, ministre de la santé ! Une carte blanche qui avait obtenu plus de 3 000 signatures en Fédération Wallonie Bruxelles et plus de 5 000 en Flandres fin 2023, reprenait les différents points de leur mécontentement. Le ministre Vandenbroucke leur avait alors fait miroiter un changement pour
la profession ! Elles pourraient revoir la nomenclature et les 11 millions qui devaient refinancer leur secteur, (mais qui ont finalement servi à financer un trajet de soin périnatal) devaient en grande partie leur être réservé au sein de ce trajet.

Aujourd’hui, où en sommes-nous ?

Le ministre Vandenbroucke nous a en effet permis d’organiser des groupes de travail pour réfléchir à la révision de la nomenclature, mais force est de constater qu’il ne suffit pas de secouer l’enveloppe pour la faire grossir et cette enveloppe est définitivement trop petite pour le secteur. Dans le rapport de 2022, résultats du couplage des données PlanCad SPF SPSCAEDatawarehouse MT&PS-INAMI, réalisée sur base du marché de travail pour les sages-femmes en 2019, on constate qu’un emploi d’indépendante à temps plein pour la nomenclature des sages-femmes est assimilé à un montant brut de 24.977€ dans le cadre de la nomenclature spécifique aux sages-femmes contre un montant brut de 75.781€ pour un emploi d’indépendante à temps plein dans la nomenclature en art infirmier.
Les sages-femmes ne demandent plus seulement une rémunération qui leur permettrait d’être reconnues à hauteur de leurs responsabilités, aujourd’hui elles demandent une rémunération qui leur permettrait de survivre ! Le secteur a subi, années après années, des restrictions budgétaires permettant de financer différents projets dans lesquels elles n’ont même pas été impliquées, ne fut-ce que par courtoisie.
Le remodelage des accompagnements autour de la périnatalité, notamment avec les retours précoces, les trajets de soins, l’informatisation forcée… a augmenté la précarité de leur profession, les obligeant à rejoindre la première ligne sans le financement nécessaire pour le faire. Elles se sont adaptées, ont assuré les meilleurs soins possibles auprès des familles, malgré la réalité peu glorieuse de leur compte en banque. Elles ont repoussé les limites de la décence encore et encore pour répondre à leurs valeurs de bienveillance, d’accessibilité pour tous ! Alors, lorsqu’on leur demande de justifier la plus-value d’un refinancement de leur secteur pour les familles, elles restent bouche bée, car en effet, il n’y a pas de plus-value possible, elles ont tout donné !
À l’inverse, la question devrait être « quelle serait la moins-value sans refinancement ? ». Là, elles peuvent être beaucoup plus loquaces. Sans refinancement, leur secteur ne peut plus tenir pour garantir la qualité des accompagnements ! Elles seront alors contraintes d’actionner d’autres leviers et c’est le citoyen qui devra financer de manière plus importante ses soins.

À l’impossible nul n’est tenu

Il est temps de voir les choses en face, la sage-femme est une professionnelle de première ligne, détentrice d’un baccalauréat, qui possède toutes les compétences nécessaires pour maintenir la santé des femmes et de leurs enfants durant toute la période de périnatalité. Elle est formée de manière continue, elle fait de la prévention, soutient la physiologie et dépiste la pathologie. Elle travaille en collaboration avec les professionnels de la périnatalité (gynécologues, pédiatres, médecins généralistes, ONE…) afin d’assurer un suivi des familles en suivant les dernières recommandations et données de la science.
Mais ce sont aussi les seules professionnelles de la santé qui ne peuvent facturer qu’une seule personne alors qu’elles prennent en soins au moins deux personnes en postnatal, la maman et le bébé ! Si un professionnel de la santé voit deux ou trois patients, il facturera 2 ou 3 attestations. Si la sage-femme se rend chez une maman en post-partum, que cette maman ait un, deux ou
trois enfants, la sage-femme réalisera les soins à la maman, et à chacun des nouveau-nés, mais ne pourra facturer qu’une seule et même attestation. Rien ne justifie, à ce jour, la différence de traitement qui existe entre la façon dont l’ensemble des praticiens professionnels (art de guérir, art infirmier et paramédical) sont rémunérés lorsqu’ils reçoivent plusieurs patients d’une même famille en consultation et la façon dont les sage-femmes se voient rémunérer.

Nous ne pouvons plus l’admettre

Et c’est là un exemple de nos revendications pour une meilleure condition de vie. Actuellement, la réponse à toutes leurs revendications est inlassablement la même : « Aucun budget n’est disponible pour leur secteur ».
Le paysage politique pour le prochain mandat semble se dessiner doucement, et avec lui, des propositions bienveillantes sont mises sur la table : accentuer la prévention, privilégier l’éducation à la santé, rendre les soins plus accessibles quel que soit le statut social des patients… et même veiller à la reconnaissance des soignants. Si toutes ces bonnes intentions tentent de nous rassurer, elles nécessitent également un budget à la hauteur des besoins et des enjeux.
Pour le comité d’assurance de l’INAMI, l’heure n’est pas au financement, mais à l’économie ! Un dépassement dangereux du budget dans certains secteurs fait vaciller notre sécurité sociale, le ministre Vandenbroucke a tiré la sonnette d’alarme… La mécanique est en marche, il faut alléger le budget !

Où va-t-il falloir encore raboter avant que l’édifice ne tombe ?

Il n’y a pas de bonne réponse, c’est tout le secteur de la santé qui frissonne. Même si chacun dispose de tous les arguments nécessaires pour justifier un refinancement, il y a un secteur qui sort du lot et qui agonise depuis longtemps : celui des sages-femmes. Nous ne pouvons pas accompagner les familles de manière optimale si nous devons en même temps lutter pour notre survie ! Dans un nouveau gouvernement, riche de nouvelles énergies, de nouvelles stratégies, nous pouvons espérer que la place donnée à la santé des femmes et des familles sera une priorité. Car, en effet, les nouveau-nés d’aujourd’hui seront les adultes de demain et mieux vaut miser sur une société en santé.
Pour toutes les sages-femmes qui vont au-delà de leurs limites ; pour toutes les femmes qui souffrent de ne pas être soutenues, entendues ; pour tous ces nouveau-nés qui arrivent dans un monde bien rude. 

 

Murielle Conradt
Présidente de l’UPSFB

 

Anne Niset
Présidente de l’AFSF”
Partagé par Sofia Douieb