Quand une organisation professionnelle de gynécologues arrive à bloquer le résultat d’un travail d’enquête et d’auditions de deux ans au Sénat. Carte blanche publiée par la Plateforme citoyenne pour une naissance respectée, co-signée par 45 associations de tout le secteur. “Une preuve que la société civile se préoccupe des violences gynécologiques et obstétricales et est interpelée par le blocage du dossier”, se réjouit la Plateforme sur sa page Facebook.
“Vendredi 23 juin 2023 devait avoir lieu le vote au Sénat du rapport d’information sur les violences gynécologiques et obstétricales, contenant 92 recommandations. Adopté en commission le 22 mai à l’unanimité, ce rapport de plus de 250 pages vient clôturer un travail de deux ans d’auditions d’expert·es et professionnel·les de la santé ainsi que d’associations de terrain. Il a pour objectif de renforcer et garantir le respect, les droits et l’autodétermination des femmes tout au long de leur parcours gynécologique et obstétrical.
Selon les chiffres d’une enquête menée en 2021 par la Plateforme citoyenne pour une naissance respectée auprès de plus de 4000 femmes, près de 40% d’entre elles ont été concernées par ces violences lors de leur accouchement !
Sur la demande du CD&V et de l’Open-VLD, le rapport a été renvoyé en commission suite à un courrier du VVOG (organisation professionnelle des gynécologues et obstétriciens flamands) reçu trois jours avant la date du vote. Le VVOG signale que le Collège Royal des Gynécologues Obstétriciens de langue française (CRGOLFB) aurait été contacté, et que l’organisation francophone serait alignée sur ce positionnement.
Nous nous interrogeons d’abord sur la procédure : comment se fait-il qu’un simple courrier puisse bloquer un rapport porté par des sénatrices depuis deux ans ? Et ce alors même que les deux organisations francophone et néerlandophone de gynécologues et obstétriciens avaient été entendues dans le cadre de ce dossier dès le 29 novembre 2021.
A la suite de l’audition, une note avait d’ailleurs été transmise par le Dr Capelle (du service de gynécologie du CHU de Liège), note intégrée dans le compte-rendu des auditions. Les organisations professionnelles des gynécologues ont été associées à l’élaboration de ce rapport. Cela n’a pas empêché le VVOG de contester les conclusions, au point de pousser le Sénat à suspendre le vote en plénière et renvoyer le dossier en commission.
La Belgique n’est pas épargnée par les violences gynécologiques et obstétricales
Ces derniers mois, dans toute l’Europe, des signalements de violences gynécologiques et obstétricales se sont multipliés. Le consentement éclairé des patientes n’est pas toujours recherché, des interventions peuvent être pratiquées malgré le refus de la patiente. Les femmes rapportent des comportements grossiers, brutaux ou dégradants commis par le personnel médical au moment de l’accouchement ou en consultation.
Elles rapportent également des pratiques délétères injustifiables telles que l’expression abdominale ou le point du mari. En Belgique, la Plateforme citoyenne pour une naissance respectée a lancé en 2021 une enquête sur les accouchements avant et pendant la période covid.
Si plus de 4 200 femmes ont répondu au questionnaire qui visait à avoir des données chiffrées sur la situation, plus de 2 000 ont répondu aux questions ouvertes en laissant des témoignages sur des situations ressenties comme violentes dont l’effet impacte encore leur vie aujourd’hui (physiquement et/ou psychologiquement). Impossible de passer sous silence la libération de la parole et l’afflux de témoignages reçus ces dernières années ainsi que la littérature scientifique qui s’est considérablement étoffée, y compris dans les pays à haut revenu tels que l’Islande, l’Australie, les USA, les Pays-Bas, l’Espagne, l’Italie…
Dans ce contexte, le Collège national des gynécologues et obstétriciens de France (CNGOF) a pris le sujet des violences gynécologiques et obstétricales très au sérieux. Il a adopté en octobre 2021 une Charte des bonnes pratiques gynécologiques et a recommandé en janvier 2023 de limiter les examens pelviens non justifiés. En Belgique, une prise de conscience des professionnel·les est encore nécessaire et très attendue.
Plusieurs appels à projets ont été financés ces dernières années sur cette thématique, et cela par différents niveaux de pouvoir, permettant de faire progresser le travail de la société civile sur ce sujet.
S’il y a eu des avancées aux niveaux associatif et politique, nous regrettons que les organisations professionnelles de gynécologues freinent ce mouvement, au lieu de se placer au côté des patientes dans la lutte contre les violences.
Les femmes qui accouchent en Flandre sont moins bien traitées
Pourquoi la fronde vient-elle des gynécologues flamands ? Une explication est que les chiffres en Flandre sont moins bons qu’en Wallonie et à Bruxelles. Si la transparence des pratiques n’est pas encore au rendez-vous, certains chiffres notamment issus des rapports du CEPIP (Centre d’Épidémiologie Périnatale) et du SPE (Studiecentrum Perinatale Epidemiologie) sont pourtant éloquents.
Prenons par exemple la question des épisiotomies de routine. L’épisiotomie est une incision du périnée pratiquée au moment de l’accouchement afin d’accélérer l’expulsion. C’est un acte chirurgical assez largement répandu. Les bénéfices supposés de ce geste sont discutés par la recherche scientifique depuis plusieurs décennies.
Dans le dernier rapport du SPE, disponible en ligne et portant sur l’année 2021, on lit que le pourcentage d’épisiotomie chez les femmes ayant accouché par voie basse en Flandre est de 34,9%. Les taux en Flandre sont 2,4 fois plus élevés qu’à Bruxelles (14,8%) et 1,7 fois plus qu’en Wallonie (20,00%). La variabilité entre les maternités en Flandre est également énorme allant de 5,6% à 73,5%.
Il ne peut y avoir aucune raison médicale pour des taux aussi hauts et aussi disparates. Rappelons que l’OMS conseille de ne pas dépasser les 10%. Comment comprendre dès lors de telles disparités ? Nous pensons qu’il est important que les résultats des études scientifiques soient transposés dans la pratique clinique. Ici, par exemple, le mythe que les épisiotomies de routine protègent les femmes de déchirures sévères et d’incontinence a été invalidé depuis très longtemps par les revues systématiques de la Cochrane Library.
Stop à la banalisation des violences
Face à une organisation professionnelle de gynécologues obstétriciens et leurs représentant·es, ce sont plusieurs millions de jeunes filles et de femmes, mais également certains hommes trans et certaines personnes non-binaires qui sont concerné·es par la qualité de leurs soins tout au long de leur parcours gynécologique et/ou obstétrical, Nous demandons que soient pleinement respectés les droits des patient·es, et notamment :
- Le droit à recevoir des prestations de soins de qualité, validées scientifiquement ;
- Le droit au consentement libre et éclairé, c’est-à-dire précédé d’une information complète et fiable ;
- Le droit d’avoir un dossier médical tenu à jour, conservé en lieu sûr, de le consulter et d’en obtenir des copies ;
- Le droit au respect de la vie privée et de l’intimité ;
- Le droit d’accès à une fonction de médiation compétente et non partiale ;
- Le droit à la prise en charge de la douleur.
Ce ne pourra pas être le cas tant que la réalité des violences gynécologiques et obstétricales continuera d’être niée par certaines organisations professionnelles, et tant que les vécus des patient·es ne seront pas entendus.
Nous précisons bien ici “organisations professionnelles” et pas LES gynécologues car nous ne pensons pas que l’ensemble de leurs membres partagent le contenu de la lettre envoyée. Nos différentes associations ont organisé ces dernières années plusieurs séminaires, groupes de travail, conférences incluant des gynécologues-obstétricien·nes, des médecins généralistes, des futur·es professionnel·les de la santé qui déplorent elles et eux aussi la situation.
Il est donc essentiel que ce rapport – qui n’est pas loi, rappelons-le – puisse être voté. Cela permettrait d’avancer vers des pratiques gynécologiques et obstétricales bienveillantes et respectueuses dans lesquelles les femmes peuvent être actrices de leur vie et de leur santé. Nous espérons que les éventuels amendements déposés iront dans ce sens pour protéger les droits de la moitié de la population belge.”